« Sur l’autorité des maîtres »
par Alain Avello
Le recul progressif de l’autorité des maîtres, initié par Mai 68, cristallise bien des reniements ayant provoqué le déclin du système scolaire. Il se manifeste le plus nettement par la difficulté, voire l’impossibilité de transmettre le savoir, dans beaucoup trop d’établissements et de classes, et cela du fait de la conduite d’une partie des publics scolaires, au point que, de même qu’il existe des « territoires perdus de la République », ces quartiers où les forces de l’ordre ne s’aventurent même plus, de même existe-t-il des « établissements scolaires perdus », car à ce point submergés par la violence sociale qu’il est devenu impossible d’y enseigner.
Mais, si ce phénomène a fondamentalement à voir avec le recul de l’autorité, il n’en importe pas moins de distinguer la question de la violence scolaire de celle, précisément, de l’autorité des maîtres.
En effet, ce recul se manifeste aussi et surtout, de façon plus généralisée et diffuse : par une certaine « culture de l’excuse » faisant aujourd’hui largement norme, et par cette tolérance confinant au laxisme qui s’est peu à peu installée à l’égard des écarts de conduite. Dans le but de monnayer à peu de frais une relative « paix scolaire », cette tolérance a conduit à transiger avec les règles, à accepter qu’on les négocie et qu’on les transgresse. Généralisation de la culture de l’excuse, négociation permanente des règles, mollesse dans l’application de sanctions effectives, ce sont là autant d’indices d’une démission de l’autorité, sur l’exercice de laquelle on a jeté tant de suspicion qu’on a répugné à l’assumer, jusqu’à ne plus l’exercer du tout.
De toute évidence, ce renoncement à l’autorité est imputable aux idéologies égalitariste et libertaire ayant dominé ce qu’on a appelé la « pensée 68 ». De ces idéologies, le système scolaire a été, pour sa plus grande perte, le champ d’expérimentation. Mais si le « libertarisme scolaire » s’est fait, pour le pire, si efficient, c’est qu’il a servi de vecteur à la logique libérale et mondialiste ayant tout autant inspiré les politiques éducatives, de sorte que les deux lignes idéologiques, celle libertaire portée le plus résolument par les gouvernements de gauche, et celle libérale ayant orienté plus nettement les réformes portées par ceux de droite, ont été chacune le vecteur de l’autre.
En matière scolaire, on a prétendu laisser à l’ « élève » la plus grande liberté possible, le solliciter sans cesse dans sa spontanéité prétendument inventive et créatrice, alors que, faute de l’instruire et de l’éduquer, on ne lui permettait plus d’accéder à l’autonomie — on commettait ainsi un contresens majeur sur la liberté et, du même mouvement, récusait-on l’exercice de l’autorité. On a, de ce fait, scolairement promu, en lieu et place d’un élève consacrant ses efforts à l’étude, un individu qu’il s’est agi de placer « au centre du système », pour reprendre la tristement célèbre formule de la « loi Jospin de 1989 », le savoir étant quant à lui relégué à la périphérie. Tout s’est donc passé comme si l’Ecole s’était trouvé requise par la société du marché généralisé la contraignant à renoncer à ses missions essentielles : elle s’est mise à produire, non plus des citoyens libres et responsables car éclairés, mais ces individus atomisés et flottants qui, du fait du peu d’instruction qui leur a été dispensée, deviendront des salariés d’autant plus flexibles que peu qualifiés, et de parfaits consommateurs prêts à céder à toutes les pressions consuméristes.
Le maître s’est corrélativement trouvé déchu, pour devenir le quasi égal de l’élève, tout ceci s’inscrivant dans le vocabulaire : il ne s’agit plus tant de « faire cours » que d’« intervenir » : le maître est devenu un « intervenant » qui « accompagne » l’élève vers un vague savoir. Le cours a peu à peu été supplanté par des « activités éducatives »… on a, par exemple, assisté à une véritable inflation des « sorties pédagogiques » : pour le coup, c’est au sens propre qu’il s’est agi alors d’accompagner l’élève, lors même que le rapport professoral à celui-ci devenait suspect.
A rebours de ce processus qui a entraîné, depuis plus d’une trentaine d’années, l’Ecole de la République dans le déclin, les enseignants patriotes que rassemble le Collectif Racine, mus par la volonté de redresser le système scolaire, ont entrepris de réfléchir sur les conditions qui devront être mises en œuvre pour que ce redressement se produise, au premier rang desquelles la restauration de l’autorité des maîtres.
Celle-ci exige certes qu’on en finisse avec le laxisme scolaire — il faut renouer avec la pratique effective de la sanction, car il n’est plus acceptable que les « incivilités », pour reprendre l’euphémisme consacré, puissent entraver le fonctionnement normal des établissements scolaires où s’apprend aussi la vie en collectivité, laquelle exige des règles reconnaissant certes des droits, mais prescrivant aussi des devoirs —, mais là n’est pourtant pas l’essentiel. L’autorité est en effet ce qui inspire naturellement le respect, la contrainte et la sanction constituant au contraire des indices d’une défaillance de l’autorité, si bien que, dans un système scolaire fondé sur l’autorité des maîtres, la pratique de la sanction ne serait que marginale.
On restaurera l’autorité des maîtres en recentrant l’Ecole sur sa mission essentielle de transmission du savoir, car la respectabilité et l’autorité des maîtres est d’abord fondée sur le savoir qu’ils possèdent et sur leur maîtrise de l’art qui consiste à le transmettre.
Ainsi faut-il profondément revoir la formation des maîtres et supprimer ces bastions du pédagogisme, passage obligé de tout enseignant débutant, que furent, vingt ans durant, les IUFM, et qui ont été recréés en début de quinquennat sous la désignation d’Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education (ESPE). Le « pédagogisme » est en effet cette conception de la pédagogie qui place « l’élève au centre », alors que, et le paradoxe n’est qu’apparent, plus on a cherché à fonder l’enseignement sur l’élève placé « au centre », à grand renfort de « sciences de l’éducation », de « didactique » et de « psychopédagogie », autant de pseudo-sciences, et moins l’Ecole a transmis de connaissances. Plus ces pédagogies, autrefois considérées comme alternatives (pédagogie de l’invention par l’élève de son propre savoir, pédagogies transversale et de l’interaction), ont été élevées au rang de norme pédagogique, et plus l’Ecole a renoncé à instruire.
A l’encontre de ces dérives institutionnalisées depuis près de trente ans, il faut réaffirmer qu’enseigner est un art, c’est-à-dire une pratique en laquelle il s’agit de devenir aussi habile que possible. Or cette habileté est d’abord conditionnée par la maîtrise du savoir qu’on prétend enseigner. C’est là la première condition qui pour n’être pas suffisante, n’en est pas moins strictement nécessaire. Ensuite on acquiert cet art qui permet de transmettre son savoir par la pratique, c’est-à-dire en se confrontant à des élèves réels, « en situation » : c’est ainsi que le maître se forme, en ayant besoin quand il débute des conseils avisés d’un maitre aguerri, qui par l’exemple, lui permet de progresser dans sa propre habileté. Mais en aucun cas de ces fumeuses théories pédagogistes qui n’ont cessé de faire la preuve de ce qu’elles ont de profondément délétère. Il faut donc définitivement mettre un terme à l’imposture pédagogiste !
On restaurera ensuite l’autorité des maîtres en reconsidérant ce qu’est un élève. Car, une Ecole fondée sur l’autorité des maîtres, c’est une Ecole qui se rapporte à l’élève comme à un élève, c’est-à-dire, certes, à un individu humain en devenir, mais qui, à l’Ecole, n’est pas tout à fait et pas seulement un individu — ce qui ne le différencierait que peu du maître —, mais bien un élève qui ne sait pas encore et est là pour apprendre, alors que le maître, lui, sait. C’est pourquoi les approches particularisantes de la psychologie ou de la « pyschopédagogie » comme celles de la sociologie doivent être récusées, car elles conduisent toujours à méconnaître l’asymétrie propre au rapport entre le maître et l’élève. La psychologie qui, du reste, conduit à tout excuser, prétend en effet connaître l’individu dans sa particularité, sous le rapport principalement de ses affects, de ses sentiments ; or l’enseignement ne s’adresse pas à ce qu’il y a de strictement individuel et particulier chez celui qui apprend, mais à ce qu’il y a en lui d’universel, son intelligence. La sociologie conduit elle aussi à une approche particularisante de l’élève revenant donc à méconnaitre ce qu’il est et doit être dans son rapport au maître : elle le conçoit comme cet individu qui serait compréhensible par son milieu social d’origine, quand il est préférable, dans le cadre scolaire, que la réalité de cette origine soit éludée, car la visée universaliste de l’enseignement exige que les particularités sociologiques le soient, pour mieux les transcender.
Ainsi, à l’encontre des approches que la psychologie et la sociologie impliquent, l’Ecole doit moins viser à éduquer qu’à instruire, car l’éducation est une affaire privée qui concerne les individus et qui doit être principalement l’œuvre de la famille, l’Ecole n’ayant évidemment pas à se substituer à la famille. Le professeur n’a nullement à se confondre avec un éducateur : il se voit confier pour le temps d’une année scolaire la fraction d’une classe d’âge qu’il va avoir la charge d’élever dans le savoir, c’est-à-dire d’instruire ; et c’est parce que, précisément, cette noble mission lui échoit que lui est conférée cette autorité légitime qu’il se doit d’incarner.
On restaurera enfin l’autorité des maîtres, en renouant avec la pratique du cours magistral. Il faut le réhabiliter à tous les niveaux, dans toutes les disciplines où cela est légitime : un cours de langue doit certes inclure une part d’interaction, mais un cours de philosophie, de mathématiques, de littérature ou d’histoire, par exemple, se justifie pleinement comme cours magistral, y compris en direction de très jeunes élèves. Le cours magistral qui, au niveau de l’enseignement secondaire, ne doit bien entendu pas exclure la possibilité pour les élèves d’exprimer leur curiosité et, partant, de questionner, possède toutes les vertus de l’autorité. Il inspire en effet le respect, parce qu’il a une dimension exemplaire : il signale aux élèves la haute idée que le maître se fait de sa mission et l’importance que partant il leur accorde ; le maître manifeste ainsi ce qui le légitime pleinement dans sa fonction, et suscite alors l’attention, le respect et l’envie d’apprendre. Car, un professeur qui inspire le respect, dont l’autorité est indiscutée, c’est un professeur qui se montre à ses élèves comme pleinement légitime dans sa fonction, dont la pratique d’enseignement est assurée, car elle révèle un haut niveau de culture, de savoir et de compétence.
On a pourtant proscrit peu à peu le cours magistral de la quasi-totalité des disciplines, un professeur pouvant être sanctionné par sa hiérarchie lorsqu’il en maintient la pratique. Comment pourtant l’autorité du maître fondée sur son savoir, peut-elle être reconnue, s’il fait tout sauf faire cours ? s’il consent à n’être plus qu’un « accompagnateur » ou un « animateur » ? s’il s’emploie à ressembler à ses élèves, en épousant leurs centres d’intérêt, en imitant leur façon de parler et jusqu’à leurs pratiques vestimentaires ? Un professeur qui ne se veut tout au mieux que l’animateur de sa classe, qui sans cesse se place sur un pied d’égalité avec ceux qu’il a pourtant la charge d’instruire, un tel professeur ne doit pas s’étonner qu’aucune autorité ne lui soit reconnue, un tel professeur en réalité n’en est plus un, car il consent à l’avilissement de sa fonction et, donc, se fait le complice du dévoiement de l’Ecole !
Il faudra donc non seulement procéder à la sanctuarisation de l’Ecole, de sorte à ce que la violence sociale s’arrête à ses portes, et pour cela, en finir avec la culture laxiste de l’excuse permanente, par la mise en œuvre d’un grand plan de lutte contre l’insécurité et la délinquance scolaires. Mais il faudra surtout rétablir le maître dans sa fonction, de sorte à en restaurer l’autorité, ce qui nécessairement passera par une redéfinition de sa formation, par la pleine reconnaissance de la relation asymétrique qu’il entretient à l’élève et par la réhabilitation de la transmission magistrale du savoir.
Ce sont là des conditions nécessaires au redressement de l’Ecole de la République.